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ConsommationDécrypter les attentes socié ConsommationDécrypter les attentes sociétales

Les agriculteurs ont de quoi se sentir perdus. D’un côté, les consommateurs réclament une montée en gamme, mais tous n’ont pas les moyens de la payer. De l’autre, les politiques relèvent toujours plus les exigences pour la production nationale, mais ouvrent les portes aux importations aux qualités moins-disantes. La carte à jouer est d’abord de recréer une relation de confiance avec les consommateurs français.

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A en croire les journaux et les enquêtes d’opinion, les consommateurs ont de l’appétit pour le « mieux-manger ». Ils réclament des produits de qualité, une sécurité sanitaire absolue, du bio ou au moins du zéro résidu de phytos, l’assurance du bien-être animal et la préservation de l’environnement. Ils voudraient aussi que ce ne soit pas trop cher, et local pour limiter l’empreinte carbone. Enfin, que les agriculteurs soient correctement rémunérés, parce qu’éthiquement, c’est important (lire l’encadré ci-dessous).

« Il y a une poussée sociétale très forte des consommateurs et des politiques pour une alimentation bonne pour la santé et respectueuse de l’environnement, confirme Philippe Moati, de l’Observatoire société et consommation (L’ObSoCo). C’est très ancré, ce n’est pas un effet de mode. » Nos concitoyens veulent du « moins mais mieux », ils sont en quête de sens et veulent adhérer aux valeurs d’une marque, complète un sondage de Kantar Worldpanel, présenté le 26 mars.

Le prix reste déterminant

Des nouvelles attentes que les industries agroalimentaires et la distribution feraient bien d’entendre, insiste Serge Papin, ancien président de système U : « On a affaire à une révolte. Les marques devront s’engager dans la transition écologique et climatique. » Il en veut pour preuve l’engagement de 30 000 étudiants de ne pas travailler dans une entreprise climaticide (1) ou encore les manifestations en faveur du climat qui auraient mobilisé ce printemps jusqu’à 2,5 millions de personnes dans le monde.

La tendance se dessine nettement vers des produits bons, sains et « vrais ». Pour autant, les consommateurs ont-ils les moyens de leurs attentes ? Seulement un tiers d’entre eux achètent ce « haut de gamme », temporise Eddy Fougier, consultant indépendant (lire l’encadré ci-contre). Les autres, plus nombreux, cherchent du discount. Selon une étude Kantar Worldpanel, en 2018, les trois entreprises de la distribution dont le chiffre d’affaires a le plus progressé en France sont Biocoop, Grand Frais et la chaîne de hard-discount néerlendaise Action. « En rayon, le prix reste le premier critère de choix pour beaucoup : 6 Français sur 10 font leurs courses à 10 € près (2) », complète Eddy Fougier. Il faut donc aussi des produits accessibles à tous, du « tout-venant » (3).

Sans pour autant rogner sur la sécurité : « Les premiers prix doivent être aussi sûrs sanitairement que les produits dits haut de gamme, c’est la réglementation et ce n’est pas discutable ! », souligne Jean-François Molle, consultant et ancien responsable chez Danone qui rappelle aussi que, depuis vingt ans, un marketing de la peur sape la confiance du consommateur. A force de lire « sans additif » ou sans « de nombreuses choses » on se dit que « toutes ces choses » sont forcément toxiques… « Les normes françaises garantissent l’inocuité des aliments, rappelle l’expert : il serait temps d’arrêter de se savonner la planche et redorer le blason du “made in France”. »

Recréer de la confiance

Pour retrouver la confiance des consommateurs, Pierre Combris, directeur de recherche honoraire de l’Inra, croit à une « information crédible et certifiée garantie », seule à même de déclencher un consentement à payer. Et pour cela, les outils numériques lui semblent la meilleure arme. « En s’inspirant de l’application Yuka pour les produits industriels, les agriculteurs auraient intérêt à rendre transparent tout leur itinéraire technique », poursuit l’économiste de l’alimentation. Les industriels de l’agroalimentaire s’y sont mis avec Num-Alim. Terrena a démarré en février l’application monagriculteur. coop pour suivre les étapes de la vie du poulet et des épinards. La profession agricole a lancé le projet Numagri (4), une base de données chargée de collecter les informations sur l’exploitation, pour les partager avec la filière jusqu’au consommateur.

Cette transparence pourrait faire la différence entre les productions françaises de ses concurrentes, en particulier si les produits d’importation continuent d’inonder les rayons de supermarché. Cette traçabilité ne dispensera pas d’explications pédagogiques sur les pratiques agricoles auprès de nos concitoyens. Ni de les écouter : car même si leurs attentes ne semblent pas toujours rationnelles, n’oublions pas que le consommateur est roi ! Sophie Bergot

(1) Signataires du « Manifeste pour un réveil écologique » (https ://pour-un-reveil-ecologique. fr/).

(2) Baromètre Shopper in-Store Media réalisé par Ipsos, juin 2019.

(3) Un Français sur cinq ne fait pas trois repas par jour et ne s’alimente pas sainement, rappelle le baromètre Ipsos-Secours populaire de septembre 2018.

(4) Par un consortium mené par la Fondation Avril, composé des chambres d’agriculture, la FNSEA, Jeunes Agriculteurs, Coop de France, Terres Univia et Api-Agro.

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